-Jamésie, Eeyou Istchee, Nitassinan, Nunavik: le nord québécois de demain.

Trois grandes régions du nord du Québec sont en train, plus que jamais de se définir aujourd’hui. De nombreux besoins réels de la population des régions nordiques tardent à se faire adresser. De plus en plus, plusieurs communautés tentent de rattraper un retard dans le niveau de vie offert dans ces latitudes.

Patrick Hacikyan /

photo: Oujé-Bougoumou, village cri de l’Eeyou Ischtee ©Wikimédia

L’Eeyou Istchee, est un rassemblement d’enclaves cries, territoires chevauchant la Jamésie. Cette nation vient de conclure une entente politique prometteuse qui
les inscrit dans le pouvoir décisionnel de la région. Leur chef Mathieu Coon Come semble porter espoir pour les siens
et son territoire. Il y a eu l’ascension de leur village phare: Oujé-Bougoumou, admiré de toutes parts, cependant beaucoup de pain reste sur la planche.

Le Nunavik, région majoritairement Inuite, comprend quelques projets phare impliquant sa population et une certaine création de prospérité. Cependant, son niveau de vie demeure résolument plus bas que celui de son voisin du nord : le territoire canadien du Nunavut.

Le Nitassinan signifie «notre terre» en Innu-Montagnais. Ce territoire est adjacent à celui de la Basse Côte Nord et du Labrador. Sa limite nordique se retrouve dans la fosse du Labrador, au village de Schefferville. Sa population est majoritairement Innue (Montagnaise) et ses défis futurs se situent autour du développe- ment de ses infrastructures, notamment la poursuite de la route 138 jusqu’à Blanc Sablon, ainsi que la solidification de la fameuse route Transtaïga, partagée, elle, avec la Jamésie.

Schefferville, pointe nordique du Nitassinan. ©Pierre Bouchard indico 2007

Schefferville, ville la plus nordique du Nitassinan. En comparaison au reste du monde circumpolaire, le nord du Québec est sous-développé.

On entend souvent dire que la Scandinavie est plus développée que le nord du Québec, ce qui est une mauvaise comparaison, car leurs latitudes sont différentes.

L’effet du courant jet que l’on retrouve en Europe influe sur la chaleur des océans et joue donc un rôle sur le climat.

Ainsi, Québec, qui est à la même latitude que Bordeaux, ne jouit pas du même environnement. Par contre, une comparaison faite en fonction du contexte nord-américain serait totalement adéquate.

Le Québec, même en comparaison avec le reste du Canada, fait figure de cancre en matière de qualité de vie offerte dans ses territoires nordiques.

Le nord de l’Europe a pu se développer grâce à deux facteurs notables. Premièrement, une période soutenue de chaleur est apparue en Europe au cours moyen-âge, vers le XIe siècle.

 Lors de cette période, le climat devint si clément que de nombreuses vignes et autres plantes, qui ne poussaient pas habituellement en Europe, se mirent à prospérer. Ce changement climatique permit ainsi aux sociétés du nord de l’Europe de se développer d’une toute autre manière qu’elles ne l’avaient fait auparavant. C’est d’ailleurs à cette époque que le Norvégien, Erik le Rouge et son contingent d’hommes découvrirent et colonisèrent le Groenland ; autour de l’an 982.

De la même manière, cette vague de chaleur sévit aussi de l’autre côté de l’Atlantique et permit à son tour de construire deux villes principales qui furent habitées par des Danois et des Inuits jusqu’à ce que le froid reprenne le dessus et la période de chaleur et de plénitude qui caractérisa cette époque dût battre en retraite. Cette première colonisation du Groenland se termina ainsi par un échec frigorifique. Néanmoins, les Danois persistèrent et autour du 18ème siècle, ils finirent par coloniser le Groenland ainsi que l’Islande, de manière définitive.

Aujourd’hui, Qaqortoq, située au 60ème parallèle Nord, grâce aux efforts sans relâche du Gouvernement danois, est une petite ville méconnue, mais très appréciable dans le contexte circumpolaire.

Au Québec, en 2013, aucune municipalité ou communauté au- delà du 53ème parallèle ne bénéficie de lien terrestre carrossable avec le reste du continent.

Seule Schefferville, au 54ème parallèle, possède un accès ferroviaire, héritage de ses années fastes d’exploitation du fer. Le prix du minerai de fer aidant, les jours prospères de Schefferville semblent revenir, et cette localité risque de renverser son histoire récente qui l’avait vue passer de petite ville de 5000 habitants à un village quasi fantôme.

 Il existe une dichotomie qui veut que la seule nature appréciable au Québec est totalement sauvage et vierge, exempte d’aménagements humains. Ceci amène une situation ou seuls deux modes de gestion du territoire extra-urbain existent: les réserves de nature sauvage dans les régions éloignées, ou les villes mono industrielles.

 C’est un fait qu’au-delà des contraintes climatiques, l’Amérique du Nord n’a pas bénéficié du temps qui a permis l’essai, les échanges et le travail nécessaires à la croissance naturelle des populations et de leurs bourgades à travers leur territoire.

Les nations scandinaves, elles, bénéficiant de climats relative- ment comparables aux nôtres, quoique plus cléments, ont eu le temps d’enraciner leur occupation du territoire d’une manière plus variée. Même si la population est toujours concentrée vers le sud, on peut observer des bourgades plus développées qui ont des leviers de subsistance quelque peu plus variés que ceux qu’on observe dans les territoires nordiques du Québec.

Sur les territoires canadiens tels que le Yukon, on remarque
un nord beaucoup plus « habité et habitable ». Premièrement en raison du fait qu’il est accessible par la route et par chemin de fer. Ensuite, bien que
le prix des aliments demeure cher à cause de la distance qu’ils parcourent, il existe pourtant des exemples de production locale.

 

Des petites villes comme Yellowknife et Whitehorse se sont établies visiblement pour durer, les populations s’étant adaptées et ayant tendance à adopter le territoire pour y demeurer. On peut même réper- torier une compagnie emblématique des Territoires du Nord-Ouest: Les Sacs à dos et tentes Fort Macpherson, produits de réputation internationale pour leur durabilité. Certains rétorqueront qu’au Québec, il y a Kanuk. Il est vrai que cette marque de renom international est à l’avant-garde mondiale de l’habillement hivernal et nordique. Cependant, encore une fois, on est en région montréalaise, bien sûr.

Pour ce qui est de l’Alaska, un peu plus loin, bien que plus nordique que le Nunavik, (territoire autrefois appelé Nouveau Québec), il est plus accessible. On y retrouve certainement une importante population inuite, ainsi que d’autres issues du reste du tissu démographique américain moyen.

Dans ce contexte, on note aussi une avant-garde innovatrice composée d’entreprises mettant en valeur les produits alaskains d’une toute autre manière que celle de la classique exploitation minière ou pétrolière. En effet, c’est en Alaska qu’on retrouve des élevages de bœuf musqué, duquel on tire une laine parmi les plus isolantes du monde, avec laquelle on fait des tricots qui feraient l’envie des brebis traditionnelles. Une expérience de la sorte a failli être entreprise au Québec, dans les années 2000, mais le projet fût modifié, remplaçant le Bœuf Musqué par un animal exotique dont l’élevage a déjà été développé : le Yak.

En Scandinavie, plus particulièrement en Laponie, depuis long- temps on a domestiqué, non pas le bœuf musqué, mais le petit frère du caribou, le renne. On connait déjà son lait, on utilise sa peau et ses os, on le mange et on s’en sert pour le transport. Eh oui, si un cowboy peut dompter un mustang sauvage, un Lapon a depuis des générations dompté son troupeau de rennes.

Qu’en est-il de cette disparité? Est-ce simplement l’œuvre du temps ou d’un manque de vision à long terme pour l’occupation du territoire ?

Le Groenland, bien que situé sur le continent nord-américain, un peu comme Saint-Pierre et Miquelon, est branché sur l’Europe. Aucun lien n’ayant été forgé avec le reste du continent, le mode de gestion du territoire a plutôt été calqué sur celui du Danemark, sa métropole.

Il faut souligner ici que le Gouvernement danois injecte annuellement 620 millions de dollars dans le Groenland. Il y a quelque temps, les Groenlandais ont vu la reine Margrethe II du Danemark venir officialiser une motion pour laquelle ils avaient voté. Il s’agit d’une initiative qui prévoit une indépendance accrue du Groenland en regard de sa métropole. De plus, en 2009, la souveraine a été accueillie dans la capitale, Nurk, initiant ainsi par sa présence la mise en place de cette initiative, au plus grand bonheur des habitants du Kalaallit Nunaat, le nom Inuit du territoire.

À l’aube de sa prochaine étape, le Groenland a comme principale industrie, la pêche (80% de son économie). Comme le reste des territoires éloignés de l’Amérique qui sont entrés sans préparation dans le monde postmoderne, le Groenland possède aussi son lot de suicides et d’alcoolisme et tout ce qui vient avec. Les Inuits se sont en effet vus paradoxalement coupés du monde lorsqu’on leur en a proposé un autre, via les écrans cathodiques et aujourd’hui numériques.

Contrairement au Nunavik ou à l’Alaska, il faut savoir qu’il existe une contrainte majeure au développement du Groenland. Ses rives côtières sont presque entièrement composées de fjords et 80% de la superficie du pays est recouverte d’une couche de glace de près de3 km de profondeur par endroits, ce qui a eu pour effet d’avoir empêché jusqu’à maintenant la construction de routes entre les villages. Toutefois, les changements climatiques aidant, la donne est enfin en train de changer.

Qaqortoq, Groënland

Quelques phénomènes, par contre, démontrent bien la différence groenlandaise, contrastant avec le reste du continent:

Les Moutons

Il existe une cinquantaine de grandes bergeries au Groenland. Les moutons sont élevés à l’endroit même où Erik le Rouge en faisait paître, voilà plus de 1000 ans.

Au Québec, pourtant, même en Basse-Côte-Nord, un endroit qui attend toujours que l’autoroute 138 rejoigne Blanc Sablon, il y avait autrefois des élevages de moutons. Non, définitivement, il n’y a pas que des mouches et de la bière dans le Nord ! On note que les brebis se plaisaient très bien à brouter des pousses d’épi- nettes de mélèze et de sapin.

Aujourd’hui, au Groenland, plusieurs fermes de 700 bêtes et plus gardent l’espoir de devenir 100 % autosuffisantes en fourrages pour leur bétail. Le foin qu’on y produit est de plus en plus prolifique.

Les Pommes de terre

Voilà plusieurs années, certains foyers firent leurs premières expéri- mentations en tentant de cultiver des pommes de terre durant le court été groenlandais. Après les premiers échecs, ils finirent par déterrer la première pomme de terre native du Kalaallit Nunaat. Aujourd’hui, après avoir persisté et signé devant l’adversité, on obtient un rende- ment appréciable de ces tubercules, maigre, certes, mais prometteur.

Maintenant la phase expérimentale est entamée pour de nouveaux cultivars. C’est au tour des premiers balbutiements du chou et du navet.

Les Mines

La réalité climatique, plus clémente au large de l’Île de Disko, fait de sorte qu’il est plus que jamais rentable de puiser dans les réserves qui s’y retrouvent. Malgré certaines craintes de dommages environnementaux, ces réserves, ainsi que les plus grandes réserves de terres rares au monde, pourraient achever l’émancipation économique à laquelle aspirent les Groenlandais. On en est encore à l’étude des moyens à déployer pour assurer la sécurité environnementale.

Iqaluit — chef-lieu du Nunavut, territoire Inuit du Canada / © Aaron Lloyd

Le Groenland partage une frontière avec le Canada, celle du Nunavut, territoire canadien inuit. Son chef-lieu, Iqaluit, anciennement appelé Frobisher Bay, fait pâlir d’envie tous ses comparses du territoire Inuit qui se trouvent au sud du Nunavut : le Nunavik. Kuujjuaq, le chef lieu du Nunavik, ne dispose pas du quart de ses infrastructures. Pas de salon de bronzage, ni de station de télévision.

Un avenir prometteur

Le portrait n’est pourtant pas si gris pour le développement du Québec au-delà de son 50ème parallèle. Le Québec peut être en carence ferroviaire et routière, mais c’est avant tout en implantant des universités dans les régions où il en manque, comme par exemple à Sept-Iles en Côte Nord, ou dans une communauté du Nunavik, que l’on assurera la pérennité de leurs populations.

L’Abitibi-Témiscamingue est une région qui bénéficie largement de l’existence de l’Université du Québec, dans son chef-lieu, Rouyn-Noranda. Un savoir-faire se renouvelle sur place et des initiatives peuvent donc se former dans cette région. C’est ainsi que l’Abitibi s’est vu passer d’une société essentiellement rurale à une région désormais pluri-industrielle. On retrouve même à Rouyn-Noranda une entreprise de haute technologie domotique qui exporte ses produits en Ontario et dans le sud du Québec.

Plus au nord, à La Sarre, un des villages les plus nordiques de l’Abitibi, la ferme La Vache à Maillotte, fabrique une tomme de brebis exquise, insoupçonnée en ces latitudes que l’on croyait exclusivement mono-industrielles.

L’innovation, le travail persistant et l’inspiration sont donc des clés pour la vivacité des villages éloignés du Québec. De nouveaux horizons s’ouvrent à ceux qui démarrent des entreprises mettant en valeur les particularités locales. Plus que jamais, les initiatives civiles se multiplient en ce sens.

Crème ungava, produit du Nunavik.

Kangirsuk est un petit hameau de la Baie d’Ungava, au nord de Kuujjuaq. Nunavik Biosciences, une entreprise lancée par Marc Allard, décide de profiter des propriétés uniques des algues marines qui s’accumulent dans la baie, laquelle connaît une des marées les plus hautes du monde. Ces algues robustes, aptes à proliférer en climat hostile, ont des propriétés qui régénèrent l’épiderme. Ainsi est née Ungava, une gamme de produits pour la peau fabriqués à partir d’extraits de ces algues. Le produit s’est déjà fait un nom à Paris lors de Salons spécialisés. Pour ce faire, 40 à 50 Inuits ne disposent que de deux mois pour cueillir 12 tonnes de ces algues. Les distributeurs seraient prêts à accepter des commandes de 400 000 pots de cosmétiques, mais les récoltes locales ne permettent d’en produire que 40 000 pots par année. Une perspective intéressante d’investissements pour l’avenir, considérant que la res- source est inépuisable ou presque.

Même les domaines les plus cruciaux visant les bienfaits de l’humanité, tels que la médecine, peuvent profiter de la mise en valeur diversifiée des ressources du Québec éloigné. Ainsi, l’oncologie bénéficie des propriétés des taxanes contenues dans l’if du Canada. Il est de plus en plus cultivé et récolté à l’état sauvage, pour en faire des médicaments utilisés dans la lutte contre certains cancers.

Une industrie de plusieurs millions de dollars est en train de s’ériger autour de cet arbuste à croissance lente dont on se servait jadis pour confectionner des arcs.

Le réseau routier du nord du Québec en pleine construction, dont la Transtaïga fait partie, se fera de plus en plus emprunter par une diversité de véhicules. Il sera le reflet de la diversification économique de notre Nord et donc de son développement durable et de son entreprenariat local. Lorsque les richesses uniques d’un lieu sont prises en considération et utilisées avec soin, la qualité de vie ne peut que s’améliorer et se faire aussitôt sentir.

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