Le Métier de la saison : Les derniers des dinandiers de la casbah d’Alger

Au Gré des Champs

Les derniers dinandiers de la casbah d’Alger

Dans la millénaire casbah d’Alger, les époques se succèdent. Quand on s’enfonce dans le sombre dédale de ses ruelles étroites et que s’estompe le bruit criant des voitures et des passants, on se rappelle qu’elle fut le refuge idéal des combattants algériens. L’âne qui tout penaud transporte sur son dos les ordures des kasbadjis est un anachronisme qui ravive la mémoire d’une civilisation archaïque. Les murs en ruines et les fresques décolorées nous rappellent que la casbah est un château de cartes fragile. Et les artisans si nombreux autrefois et si rares aujourd’hui nous montrent que l’artisanat en Algérie n’échappe pas à l’avarice de la société de consommation.

SARAH-CHRISTINE BOURIHANE/

Hadj El Hachemi Benmira est le plus ancien dinandier de la casbah d’Alger. Il y travaille le cuivre depuis 1958. Quand je passe devant son atelier qui brille d’œuvres, il y est caché au fond, accroupi sur un petit tabouret et martèle une pièce de cuivre pour entailler des motifs de style oriental. Il se laisse déranger aisément et nous accueille très chaleureusement comme il est coutume de le faire au Maghreb.

«C’est mon père qui m’a appris ce métier et mon grand-père qui le lui a appris et ainsi de suite. J’ai commencé ce métier il y a 57 ans maintenant et je m’efforce de le sauvegarder.»

Cet artisan fier de son art me présente immédiatement son univers. Sur le mur sont accrochées de vieilles photos encadrées où on le voit à travers différents âges. «Ça c’est moi en 1965, le 19 juin. Je me souviens de la date car c’est là que Boumediene a fait le coup d’État pour devenir président.» Même si le temps a passé depuis, une est chose demeurée la même: El Hachemi dompte toujours minutieusement le cuivre sur son petit tabouret.

L’artisan poursuit la visite de son atelier. Chaque morceau évoque l’histoire et la culture de son peuple. «Un plateau comme ça, il faut compter une semaine de travail. Celui-là, vous comptez une journée. Et celui-ci c’est mon père qui l’a fait.» Puis El Hachemi m’explique à quoi servent ces plateaux qu’on appelle sniwa.

«Dans la tradition berbère, quand une femme se marie, sa famille lui rend visite le lendemain dans la famille de son mari. Ces plateaux servent à y mettre le makrout, une pâtisserie algérienne faite de semoules et de dattes.»

«Je travaille à partir de plaques de deux mètres sur un mètre. Avec ces dimensions je fais ce que je veux.» Grâce au tour, l’artisan donne à sa feuille de cuivre maintes formes possibles: théières, plateaux, lampes, encensoir, etc. Il ne lui reste qu’à marteler la pièce créée et à la décorer par des motifs au ciseau. Avec certaines pièces, il procède également à l’étamage par voie chimique. Dans le cas des plateaux par exemple, il les fait tremper dans le nickel.

Une tradition en péril

Je lui demande ce qu’il aime le plus dans le métier. «J’aime l’art traditionnel», me répond bien simplement El Hachemi avec son petit accent arabe, en m’expliquant que la tradition de la dinanderie en Algérie remonte au Moyen Âge. «Avant l’occupation turque, les Algériens font un art spécial» me dit-il en me pointant un vieux plateau qui daterait selon lui de cette période.

Durant le Moyen Âge, les différents corps de métiers se regroupent par ruelles dans la casbah d’Alger. Les confectionneurs d’habits traditionnels et de tapis et les artisans du bois et du cuivre cohabitent dans la vieille ville. Mais durant la colonisation française et après l’Indépendance, l’artisanat est en déclin. Par exemple, pour le cuivre, on compte maintenant seulement deux à trois maitres dinandiers dans toute la casbah.

El Hachemi m’explique que la matière première se fait rare sur le marché algérien, voire quasiment inexistante. La réserve de cuivre d’Algérie est maintenant épuisée et l’État en importe peu, ce qui rend le cuivre très cher pour les petits artisans qui travaillent de leurs mains comme El Hachemi. À cela s’ajoute les contraintes fiscales et la concurrence des produits de manufacture. Le métier perd donc ses lettres de noblesse. Pour le garder vivant, El Hachemi recycle des objets existants ou puise à même les chutes de cuivre usagé.

Si durant son parcours, le maitre septuagénaire a réussi à former plus d’une vingtaine de personnes, il avoue se buter au désintérêt des jeunes pour ce métier ancestral. «Même mes enfants ont opté pour une autre vie professionnelle car l’artisanat demande beaucoup de patience et de temps pour peu de gains» confie-t-il.

Trou de mémoire

Le travail du cuivre remonte à la nuit des temps. Il est le plus ancien métal utilisé par l’homme. On a découvert des traces de fusion du cuivre dans un plateau iranien datant de 7000 ans. Grâce à ses propriétés de ductilité et de conductivité, le cuivre est rapidement apparu dans l’histoire de l’humanité. Il est donc un des fondements même de la civilisation.

Aujourd’hui en 2016, à l’ère du plastique, l’artisanat traditionnel tend à disparaitre. Et ce n’est pas seulement l’artisanat qui disparait mais tout une culture avec elle. Comme le dit l’artisan brodeur français François Lesage: «Un pays qui perd son artisanat est un pays qui meurt». El Hachemi l’a compris. C’est pourquoi il tient à son artisanat et à son pays.

Avant mon départ, il me montre tout fier dans son livre d’or la signature de l’ancienne gouverneure générale du Canada, Michaelle Jean, qui a visité l’atelier ainsi qu’un papier de reconnaissance de l’UNESCO pour ses efforts de préservation d’un patrimoine ancestral.

Mais malgré tout, même si des personnalités célèbres sont passées dans ce petit atelier du dinandier et que la casbah d’Alger est classée patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1992, il  demeure que la millénaire casbah s’effrite et que son artisanat périclite.

Un portrait qui laisse deviner le passage de l’ancien monde au monde moderne, où les traces d’une tradition riche s’effacent au profit d’une culture mondialiste. Va-ton tenter de conserver les vestiges d’un métier transmis de père en fils depuis des siècles et de faire vivre de nobles artisans pour conserver la vertu de l’art? El Hachemi l’espère pour ne pas qu’à son départ, l’artisanat s’efface avec sa mémoire.

En repartant avec un petit miroir artisanal fait par sa main, nous nous disons «saha», ce mot utilisé dans la langue arabe et kabyle pour dire merci. Ses yeux miroitent une réelle reconnaissance, qui n’est souvent pas celle des vendeurs qui ignorent d’où vient vraiment ce qu’ils vendent.

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