-Fraises du Québec: le trésor est dans la baie!

L’importance de chérir les fruits locaux. 

Depuis le début du 20ème siècle, nous avons perdu la grande majorité de nos variétés de fruits, légumes et de bétail. Les contraintes économiques nous poussent à produire à bas prix, ce qui encourage souvent la disparition de la diversité et parfois de la qualité dans notre assiette. Dans le monde des fruits, les baies, plus particulièrement les fraises, sont très sensibles à ce phénomène.

Patrick Hacikyan/

Il s’agit d’un phénomène qui est perçu dans le monde entier. La variété des cultivars utilisés par les agriculteurs et du bétail par les éleveurs, tendent à diminuer de manière drastique. Bien sûr, avec la population urbaine qui tend à décupler, les bénéfices de la production de masse sont indéniables. Cependant, plusieurs avantages existent à entretenir une diversité saine et équilibrée dans l’agriculture et l’élevage, ne serait-ce que dans certains marchés plus spécialisés. 

Il est très facile de se rendre compte de ce phénomène dans le domaine des fruits et légumes. Aux États-Unis, le National Seed Storage Laboratory (Laboratoire Nationale d’Entreposage Semencier) note qu’entre le début des années 1900 et 1983, environ 93% des semences ont disparu. Si en 1903 on notait l’existence de 338 différentes sortes de melons, 80 ans plus tard, il n’en reste que 27.

Créer une souche de fraise, dans le domaine du possible

Développer des variétés de fruits est un processus laborieux et nécessite plusieurs générations de cycles de croissance. Dans certains cas, une variété devienra célèbre, tel la pomme McIntosh, développée en 1811 à Dundas, en Ontario au Canada par John McIntosh, de laquelle sont dérivées d’autres sortes de pommes comme la Cortland. Dans le monde de la fraise, produire une nouvelle variété nécessite entre 8 et 10 ans. Il faut produire jusqu’à 20000 semis pour qu’une variété stable naisse. Il existe encore aujourd’hui plus de mille variétés de fraises. Il s’agit d’un fruit qui est assez facile à cultiver, donc il est plus aisé d’y observer les fluctuations dans les variétés et selon les forces du marché dans lequel elles évoluent. 

La fraise du terroir, recherchée par les amateurs

Les fraises sont un fruit qui est très adaptable aux particularités locales. Dans de nombreux pays, on loue le délice que sont telle ou telle sorte de fraise, souvent introuvable en d’autres contrées. Au Québec, nombreux sont ceux qui cherchent souvent avec difficulté des fraises plus petites et plus savoureuses, de plus en plus difficiles à trouver. En France on se régale avec la Gariguette de Provence et on se casse la tête pour trouver des Saint-Antoine de Padoue, variété datant de 1896, réputée pour son parfum délicat. En Grande-Bretagne la fameuse Royal Sovereign était LA référence pendant un demi siècle avant d’être freinée par la maladie. Elle est cependant encore cultivée par les amateurs invétérés. D’autres variétés aussi, comme la Red Gauntlet ont marqué les esprits, et on se casse encore la tête à en trouver. Mais voilà: pour en trouver, il faut en produire. Pour qu’on en produise, il faut le demander. En Pologne, un exemple de fraise du terroir dont l’avenir est sécurisé existe. Il s’agit de la fraise de Cachoubie. En effet depuis 2009, cette fraise dispose d’une Indication Géographique Protégée. Sa production est limitée à un cultivar précis et à une zone délimitée géographiquement. C’est une variété remarquable de par ses arômes beaucoup plus prononcés et sucrés que d’autres fraises de provenances différentes.

Au Québec, des variétés comme la Saint-Jean d’Orléans, la Chambly, la Glooscap, la Yamaska et l’Harmonie sont des fraises un peu plus prisées par les amateurs. Par contre la bonne majorité des variétés s’éloignent des petites fraises rouge foncées typiques des campagnes de différentes régions. Poussés par le besoin de produire plus à moindre coût, les exploitations agricoles optent pour des variétés industrielles américaines même si celles ci sont en fait parfois, nous le verrons plus loin, des souches développées à l’origine, au Québec. Les fraises les plus célébrées sont donc de plus en plus difficiles à repérer. Cependant, un effort de mise en marché a été mis sur pied par l’Association des producteurs de fraises et framboises du Québec. La marque Les fraîches du Québec s’est oeuvrée à donner plus de visibilité aux fraises et framboises du Québec. C’est ainsi que désormais, la demande pour des fraises et framboises du Québec est en saine croissance. Grâce à l’éducation et une soigneuse communication marketing, le public est de plus en plus en mesure de choisir une fraise ou autre baie de qualité, et locale.

Production de masse et production de niche

Si au Québec on déplore souvent la présence de fraises californiennes sur les étalages des marchés en pleine saison de la fraise locale, en France, aux Pays Bas, en Angleterre et dans d’autres pays d’Europe, on encourage l’achat des fraises locales par opposition aux fraises espagnoles. C’est en Espagne qu’on produit à plus grande échelle, au détriment parfois de la qualité, quoiqu’il existe néanmoins d’excellentes variétés de fraises espagnoles tout comme de succulentes fraises américaines. Les 350 000 tonnes de fraises en provenance d’Espagne se vendent à environ deux Euros chez les grossistes. Cette production qui est de 7 à 8 fois plus importante que la production française, ne peut être rivalisé par les fraises régionales qui souvent, dans leur version bio se vendent au moins quatre fois plus cher. De plus, l’usage de pesticides est une des raisons qui permettent cette immense production à un prix qui frise le zéro. Il y a là de quoi rétrécir encore plus la variété et la qualité de l’offre, et par conséquent, la concentrer encore plus.

La seule solution est donc l’éducation du public, et inciter ce dernier à payer un peu plus, mais aussi à faire un petit détour pour aller chez le commerce qui offre une variété plus locale, et prisée au niveau de sa qualité gustative. Plusieurs producteurs affirment que pourtant leur fraise est bel et bien sucrée, mais en réalité, le goût de la fraise classique est bien plus que sucrée. Il y a une myriade de composés phénoliques dans la fraise, dont les principaux sont les flavonoïdes. La meilleure fraise n’est pas que de l’eau sucrée. La fraise locale de nos campagnes possède en réalité un goût et un parfum très complexe, qui peut se comparer à une mélodie dans une baie. 

Fragaria vesca, le fraisier sauvage

Remettre le caractère sauvage dans la fraise

fraise morango

On se souviendra, John McIntosh a développé sa pomme à partir de pommiers sauvages qu’il a récupéré en nettoyant les champs sur sa terre. Il les a replantés dans une bonne terre dans le jardin, et après avoir remarqué les magnifiques fruits si savoureux que l’un de ces arbres donnait, décida de le greffer encore et encore à des souches. Ses fils ont perfectionné la variété et aujourd’hui, on connaît encore le délice qu’est cette pomme croquante. S’il est parfois ardu de dénicher une bonne souche pour produire une authentique fraise de campagne, il faut se rappeler que Fragaria vesca peut en tout temps venir à la rescousse. En effet, la fraise des bois, trouvable dans nos bosquets est la quintessence de ce qui est recherché dans une fraise. En Angleterre, Henri VIII est réputé avoir payé une petite fortune pour un quart de kilo de ces petites baies remplies de cet insaisissable paysage aromatique.

À partir des fraises sauvages, il est toujours possible de créer une splendide variété de fraise, très bien adaptée aux conditions de culture locale. Il va de soi, il est très peu probable que ces variétés deviennent très productives, cependant elles auront toujours preneur, chez ceux qui recherchent une fraise du terroir. Rien n’enlève le mérite de la production de masse, puisqu’il y aura toujours un immense et constant besoin pour ce fruit au niveau de la production à grande échelle de produits transformés comme des desserts par exemple. En réalité, le Québec possède un excellent savoir faire en la matière. Beaucoup de variétés de fraises destinées à la production de masse, et même certaines à la production plus qualitative que quantitative, sont originaires du Québec. Des entreprises comme Production Lareault, à Lavaltrie dans la région de Lanaudière, vont développer des variétés de fraises sur leurs terres, destinées à des marchés aussi variés que l’Italie, la France, les États-Unis ou ailleurs. Les semis ainsi cultivés seront envoyés à basse température, en état de dormance automnale vers ces différents marchés internationaux. Une fois sur place, les semis produiront enfin des fraises qui, parfois même nous reviendront sous forme de produits importés. Pourtant, certaines de ces fraises importées sont originaires de souches mises au point dans Lanaudière ou ailleurs au Québec.

Fraise capron

Les fraisiers musqués, tels les fraises capron, sont très prisés en France et en Italie. On les retrouve à l’état sauvage mais ils ne sont pas des fraises des bois fragaria vesca. Ces fraises issues de plants fragaria moschata sont souvent cultivées. Elles diffèrent aussi des fraises de jardin, ayant leur propre caractère. Elles recèlent un goût, comme leur nom l’indique, plus musqué, toujours dotées d’une excellente longueur en bouche. À partir de ces variétés de fraises aussi, nous pouvons constituer des nouvelles souches légendaires qui honorent la splendeur de la fraise. Puisqu’il s’agit d’un fraisier, l’exercice est tout à fait réalisable au courant d’une décénnie.

Le Québec, où le bleuet sauvage est roi

Au Québec, le bleuet, qu’il soit sauvage, à corymbes ou à feuille dentelée, possède aussi ce même potentiel. Souvent poussé par les pressions du marché, le producteur optera souvent pour des variétés offrant productivité et résistance à la maladie, parfois au détriment du goût. Cependant, la Côte-Nord et le Saguenay-Lac-Saint-Jean sont des océans de cette célèbre baie. Par conséquent il est possible de créer des variétés qui s’appuient sur des magnifiques spéciments sauvages, qui seront réputés pour leur goût, leur jus, ainsi que leur adaptabilité aux conditions de culture locale. Le créneau de la culture biologique prouve en ce sens être une bonne niche pour cet exercice. Tout un travail à grand potentiel est en train d’être fait aussi de ce côté. Les petits fruits en général sont un splendide médium pour exprimer le terroir car on peut les générer parfois plusieurs fois en une seule année, chose rare pour des pays au climat plutôt septentrional.

Quoi qu’il en soit lorsque survient la saison des fraises, on ressent une connexion avec la saison estivale enfin arrivée, tant attendue. C’est une période unique de l’année. Elle vaut la peine de faire l’effort pour aller à la recherche du trésor qu’il y a au sein d’une authentique baie fraîche issue de la campagne. Vos papilles et votre pif certes, mais aussi votre mémoire, vous rappelleront que le jeu en vaut bien la chandelle.

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