Le Métier de la saison. À chaque numéro de la publication, une page est dédiée à un métier particulier, et à une personne qui exerce ce métier. Voici un aperçu des différents métiers, parfois uniques, parfois de véritables vocations, explorés dans États de Splendeur.
Vignette Historique de la saison. Chronique revenant aussi à chaque saison, États de Splendeur se penche sur un personnage, lieu ou fait historique significatif pour aider à comprendre le Québec d'aujourd'hui.
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Chloé Sainte-Marie, métissée serrée.
Michèle Chanonat
On devine que de ses yeux couleur des lacs gelés ont coulé
bien des rivières, dans son sourire se brisent encore des éclats d’enfance. Quand, lumineuse et belle comme un matin d’hiver, Chloé Sainte-Marie chante l’amour en langue innue, les aurores boréales meurent dans sa voix, les oiseaux se taisent pour l’écouter.
Muse, amie, aimée et amante de Gilles Carle, artiste flam- boyante, Chloé Sainte-Marie est femme de passions. De son com- bat contre la maladie et la mort, on garde cet amour immense et la volonté farouche de défendre le bonheur malgré tout. De sa lutte acharnée, pendant des années, pour fonder la Maison Gilles-Carle, qui accueille des malades et leurs aidants naturels, on admire la ténacité. Son engagement est toujours total, que ce soit pour la cause des aidants ou celle des Amérindiens.
CHANTER L’AMOUR ET L’AMITIÉ EN INNU...
Après quelques chansons interprétées en innu ou en mo- hawk au gré des ses précédents disques, Chloé Sainte- Marie vient de sortir un album, intitulé Nitshisseniten e tshissenitamin / Je sais que tu sais, entièrement interprété en langue innue, paroles (traduites en français dans le livret) et musiques de Philippe McKenzie, artiste montagnais qu’elle connaît depuis des années. Quand on lui demande simple- ment pourquoi, Chloé Sainte-Marie s’écrie: « parce que je suis une métisse ! Je suis une métisse, comme tous les Qué- bécois ! » Et elle s’empresse de préciser : « mais aussi parce que Philippe McKenzie est un grand artiste, au même titre que Leonard Cohen, Bob Dylan ou Neil Young ! »
Ses racines, Chloé Sainte-Marie les a plantées dans l’amitié fertile qui la lie avec la poétesse montagnaise Joséphine Bacon, affectueusement surnommée Bebitte : « je parle un peu innu, je l’apprends avec Bebitte. C’est elle qui a commencé à écrire des chansons en innu pour moi, c’est son amitié qui m’a menée à ça ! Apprendre l’innu est une démarche que tous les Québécois devraient avoir, on devrait l’enseigner dans les écoles! L’incompréhension vient du manque de communication, mais comment se par- ler si on ne partage pas la même langue ? »
Malgré la générosité qu’on lui connaît et une foi indé- fectible en l’amitié entre les peuples, Chloé Sainte-Marie reconnaît que le dialogue est difficile. De part et d’autre, respect, ouverture à l’autre et curiosité intellectuelle restent les valeurs à défendre : « au début, quand je chantais en innu ou en mohawk, certaines personnes sortaient de la salle. Maintenant, le public est touché.
Quelque chose a changé, depuis dix ans, dans notre perception des autochtones... enfin, je le souhaite!».
Cependant elle ajoute: «j’ai vu beaucoup de racisme de la part des Blancs, un sentiment qui augmente à proximité des
réserves. Les réserves sont des ghettos, mais Bebitte dit qu’elles ont aussi permis de préserver la langue». Une langue agoni- sante, parlée par seulement 10 000 personnes...
UNE DÉMARCHE POLITIQUE.
Les textes de Philippe McKenzie racontent la déchirure, l’exil, la perte de repères. Chloé reprend, s’enflamme : « les Indiens, on les a dépouillés, on les a massacrés: en 400 ans, 50 millions de morts, c’est le plus grand génocide de l’histoire! Alors, oui, ma démarche, mon
spectacle sont politiques. L’en- jeu environnemental passe par les Indiens, on ne peut pas continuer à détruire leur terri- toire avec des barrages».
Et pourtant, n’est-ce pas ce qui arrive depuis des an- nées, dans une indifférence plus ou moins générale ? La sagesse amérindienne dit c’est l’homme qui appartient à la terre, et non le contraire.
Si nous continuons de piétiner les terres autochtones en nous comportant comme d’imbus propriétaires, comment par ailleurs respecter la culture amérindienne? «La reconnaissance passe par la connaissance et le respect, des deux côtés! dit Chloé. La culture autochtone fait partie de notre patrimoine, mais encore faudrait-il la reconnaître, la préserver, l'encourager.
Elle n’est pas encore entrée dans le cœur des gens. Alors disons que moi, ce que je fais, c’est un petit geste parmi d’autres, pour aller dans cette voie...»
Dans une époque de révoltes, l’artiste se doit de réveiller les consciences endormies, de rappeler à ses concitoyens le chemin qu’il reste à parcourir vers plus de justice et d’égalité entre les hommes.
Pour cela, Chloé Sainte-Marie est une artiste authentique. Et que son cri, assoiffé d’amour et d’humanité, résonne encore longtemps.
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